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Lafontaine fables 1, Study notes of French Literature

favole di Lafontaine complete lingua francese

Typology: Study notes

2014/2015

Uploaded on 10/07/2015

Lorenzo.Palladino
Lorenzo.Palladino 🇮🇹

5

(2)

13 documents

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Download Lafontaine fables 1 and more Study notes French Literature in PDF only on Docsity! Les fables de Jean de La Fontaine BeQ 2 Les fables de Jean de La Fontaine Livres 1 – 4 La Bibliothèque électronique du Québec Collection À tous les vents Volume 503 : version 2.0 5 La Cigale et la Fourmi La Cigale, ayant chanté Tout l’été, Se trouva fort dépourvue Quand la bise fut venue : Pas un seul petit morceau De mouche ou de vermisseau. Elle alla crier famine Chez la Fourmi sa voisine, La priant de lui prêter Quelque grain pour subsister Jusqu’à la saison nouvelle « Je vous paierai, lui dit-elle, Avant l’août, foi d’animal, Intérêt et principal. » La Fourmi n’est pas prêteuse ; C’est là son moindre défaut. « Que faisiez-vous au temps chaud ? Dit-elle à cette emprunteuse. – Nuit et jour à tout venant 6 Je chantais, ne vous déplaise. – Vous chantiez ? j’en suis fort aise : Eh bien ! dansez maintenant. » 7 Le Corbeau et le Renard Maître Corbeau, sur un arbre perché, Tenait en son bec un fromage. Maître Renard, par l’odeur alléché, Lui tint à peu près ce langage : « Hé ! bonjour, monsieur du Corbeau. Que vous êtes joli ! que vous me semblez beau ! Sans mentir, si votre ramage Se rapporte à votre plumage, Vous êtes le phénix des hôtes de ces bois. » À ces mots le Corbeau ne se sent pas de joie ; Et pour montrer sa belle voix Il ouvre un large bec, laisse tomber sa proie. Le Renard s’en saisit, et dit : « Mon bon monsieur, Apprenez que tout flatteur Vit aux dépens de celui qui l’écoute : Cette leçon vaut bien un fromage, sans doute. » Le Corbeau, honteux et confus, Jura, mais un peu tard, qu’on ne l’y prendrait plus. 10 Le Loup et le Chien Un Loup n’avait que les os et la peau, Tant les chiens faisaient bonne garde. Ce Loup rencontre un Dogue aussi puissant que beau, Gras, poli, qui s’était fourvoyé par mégarde. L’attaquer, le mettre en quartiers, Sire Loup l’eût fait volontiers ; Mais il fallait livrer bataille, Et le mâtin était de taille À se défendre hardiment. Le Loup donc, l’aborde humblement, Entre en propos, et lui fait compliment Sur son embonpoint, qu’il admire. « Il ne tiendra qu’à vous, beau sire, D’être aussi gras que moi, lui répartit le Chien. Quittez les bois, vous ferez bien : Vos pareils y sont misérables, Cancres, hères, et pauvres diables, Dont la condition est de mourir de faim. Car, quoi ? rien d’assuré ; point de franche lippée ; Tout à la pointe de l’épée. 11 Suivez-moi, vous aurez un bien meilleur destin. » Le Loup reprit : « Que me faudra-t-il faire ? – Presque rien, dit le Chien : donner la chasse aux gens Portant bâtons, et mendiants ; Flatter ceux du logis, à son maître complaire : Moyennant quoi votre salaire Sera force reliefs de toutes les façons : Os de poulets, os de pigeons, Sans parler de mainte caresse. » Le Loup déjà se forge une félicité Qui le fait pleurer de tendresse. Chemin faisant, il vit le cou du Chien pelé. « Qu’est-ce là ? lui dit-il. – Rien. – Quoi ? rien ? – Peu de chose. – Mais encore ? – Le collier dont je suis attaché De ce que vous voyez est peut-être la cause. – Attaché ? dit le Loup : vous ne courez donc pas Où vous voulez ? – Pas toujours ; mais qu’importe ? – Il importe si bien, que de tous vos repas Je ne veux en aucune sorte, Et ne voudrais pas même à ce prix un trésor. » Cela dit, maître Loup s’enfuit, et court encore. 12 La Génisse, la Chèvre, et la Brebis en société avec le Lion La Génisse, la Chèvre, et leur sœur la Brebis, Avec un fier lion, seigneur du voisinage, Firent société, dit-on, au temps jadis, Et mirent en commun le gain et le dommage. Dans les lacs de la Chèvre un cerf se trouva pris. Vers ses associés aussitôt elle envoie. Eux venus, le Lion par ses ongles compta, Et dit : « Nous sommes quatre à partager la proie. » Puis, en autant de parts le cerf il dépeça ; Prit pour lui la première en qualité de sire : « Elle doit être à moi, dit-il, et la raison, C’est que je m’appelle Lion : À cela l’on n’a rien à dire. La seconde, par droit, me doit échoir encore : Ce droit, vous le savez, c’est le droit du plus fort. Comme le plus vaillant, je prétends la troisième. Si quelqu’une de vous touche à la quatrième, Je l’étranglerai tout d’abord. » 15 L’Hirondelle et les petits Oiseaux Une hirondelle en ses voyages Avait beaucoup appris. Quiconque a beaucoup vu Peut avoir beaucoup retenu. Celle-ci prévoyait jusqu’aux moindres orages, Et, devant qu’ils ne fussent éclos, Les annonçait aux matelots. Il arriva qu’au temps que le chanvre se sème, Elle vit un manant en couvrir maints sillons. « Ceci ne me plaît pas, dit-elle aux oisillons : Je vous plains, car pour moi, dans ce péril extrême, Je saurai m’éloigner, ou vivre en quelque coin. Voyez-vous cette main qui par les airs chemine ? Un jour viendra, qui n’est pas loin, Que ce qu’elle répand sera votre ruine. De là naîtront engins à vous envelopper, Et lacets pour vous attraper, Enfin, mainte et mainte machine Qui causera dans la saison Votre mort ou votre prison : 16 Gare la cage ou le chaudron ! C’est pourquoi, leur dit l’Hirondelle, Mangez ce grain et croyez-moi. » Les oiseaux se moquèrent d’elle : Ils trouvaient aux champs trop de quoi. Quand la chènevière fut verte, L’Hirondelle leur dit : « Arrachez brin à brin Ce qu’a produit ce mauvais grain, Ou soyez sûrs de votre perte. – Prophète de malheur, babillarde, dit-on, Le bel emploi que tu nous donnes ! Il nous faudrait mille personnes Pour éplucher tout ce canton. » La chanvre étant tout à fait crue, L’Hirondelle ajouta : « Ceci ne va pas bien ; Mauvaise graine est tôt venue. Mais puisque jusqu’ici l’on ne m’a crue en rien, Dès que vous verrez que la terre Sera couverte, et qu’à leurs blés Les gens n’étant plus occupés Feront aux oisillons la guerre ; 17 Quand reginglettes et réseaux Attraperont petits oiseaux, Ne volez plus de place en place, Demeurez au logis ou changez de climat : Imitez le Canard, la Grue ou la Bécasse. Mais vous n’êtes pas en état De passer, comme nous, les déserts et les ondes, Ni d’aller chercher d’autres mondes ; C’est pourquoi vous n’avez qu’un parti qui soit sûr, C’est de vous enfermer aux trous de quelque mur. » Les oisillons, las de l’entendre, Se mirent à jaser aussi confusément Que faisaient les Troyens quand la pauvre Cassandre Ouvrait la bouche seulement. Il en prit aux uns comme aux autres : Maint oisillon se vit esclave retenu. Nous n’écoutons d’instincts que ceux qui sont les nôtres Et ne croyons le mal que quand il est venu. 20 Le Loup et l’Agneau La raison du plus fort est toujours la meilleure : Nous l’allons montrer tout à l’heure. Un Agneau se désaltérait Dans le courant d’une onde pure ; Un Loup survient à jeun, qui cherchait aventure, Et que la faim en ces lieux attirait. « Qui te rend si hardi de troubler mon breuvage ? Dit cet animal plein de rage : Tu seras châtié de ta témérité. – Sire, répond l’Agneau, que Votre Majesté Ne se mette pas en colère ; Mais plutôt qu’elle considère Que je me vas désaltérant Dans le courant, Plus de vingt pas au-dessous d’elle ; Et que par conséquent, en aucune façon, Je ne puis troubler sa boisson. – Tu la troubles, reprit cette bête cruelle ; 21 Et je sais que de moi tu médis l’an passé. – Comment l’aurais-je fait si je n’étais pas né ? Reprit l’Agneau, je tette encore ma mère – Si ce n’est toi, c’est donc ton frère. – Je n’en ai point. – C’est donc quelqu’un des tiens Car vous ne m’épargnez guère, Vous, vos bergers et vos chiens. On me l’a dit : il faut que je me venge. » Là-dessus, au fond des forêts Le Loup l’emporte et puis le mange, Sans autre forme de procès. 22 L’Homme et son Image Pour M. le Duc de La Rochefoucauld. Un Homme qui s’aimait sans avoir de rivaux Passait dans son esprit pour le plus beau du monde : Il accusait toujours les miroirs d’être faux, Vivant plus que content dans une erreur profonde. Afin de le guérir, le sort officieux Présentait partout à ses yeux Les conseillers muets dont se servent nos dames : Miroirs dans les logis, miroirs chez les marchands, Miroirs aux poches des galants, Miroirs aux ceintures des femmes. Que fait notre Narcisse ? Il se va confiner Aux lieux les plus cachés qu’il peut s’imaginer, N’osant plus des miroirs éprouver l’aventure. Mais un canal, formé par une source pure, Se trouve en ces lieux écartés : Il s’y voit, il se fâche, et ses yeux irrités Pensent apercevoir une chimère vaine. 25 Ne put venir vers moi, ni trouver d’ouverture. Je rêvais à cette aventure, Quand un autre Dragon, qui n’avait qu’un seul chef, Et bien plus d’une queue, à passer se présente. Me voilà saisi derechef D’étonnement et d’épouvante. Ce chef passe, et le corps, et chaque queue aussi : Rien ne les empêcha ; l’un fit chemin à l’autre. Je soutiens qu’il en est ainsi De votre Empereur et du nôtre. » 26 Les voleurs et l’Âne Pour un Âne enlevé deux voleurs se battaient : L’un voulait le garder, l’autre le voulait vendre. Tandis que coups de poing trottaient, Et que nos champions songeaient à se défendre, Arrive un troisième larron Qui saisit maître Aliboron. L’Âne, c’est quelquefois une pauvre province : Les voleurs sont tel ou tel prince, Comme le Transylvain, le Turc et le Hongrois. Au lieu de deux, j’en ai rencontré trois : Il est assez de cette marchandise. De nul d’eux n’est souvent la province conquise : Un quart voleur survient, qui les accorde net En se saisissant du Baudet. 27 Simonide préservé par les Dieux On ne peut trop louer trois sortes de personnes : Les Dieux, sa maîtresse et son roi. Malherbe le disait, j’y souscris, quant à moi ; Ce sont maximes toujours bonnes. La louange chatouille et gagne les esprits : Voyons comme les Dieux l’ont quelquefois payée. Simonide avait entrepris L’éloge d’un Athlète, et, la chose essayée, Il trouva son sujet plein de récits tout nus. Les parents de l’Athlète étaient gens inconnus ; Son père, un bon bourgeois ; lui, sans autre mérite ; Matière infertile et petite. Le Poète d’abord, parla de son héros. Après en avoir dit ce qu’il en pouvait dire, Il se jette à côté, se met sur le propos De Castor et Pollux ; ne manque pas d’écrire Que leur exemple était aux lutteurs glorieux ; Élève leurs combats, spécifiant les lieux Où ces frères s’étaient signalés davantage ; 30 Les Dieux et leurs pareils ; de plus, que Melpomène Souvent, sans déroger, trafique de sa peine ; Enfin, qu’on doit tenir notre art en quelque prix. Les grands se font honneur dès lors qu’ils nous font grâce : Jadis l’Olympe et le Parnasse Étaient frères et bons amis. 31 La Mort et le Malheureux Un Malheureux appelait tous les jours La Mort à son secours « Ô Mort ! lui disait-il, que tu me sembles belle ! Viens vite, viens finir ma fortune cruelle ! » La Mort crut, en venant, l’obliger en effet. Elle frappe à sa porte, elle entre, elle se montre. « Que vois-je ? cria-t-il : ôtez-moi cet objet ; Qu’il est hideux ! que sa rencontre Me cause d’horreur et d’effroi ! N’approche pas, ô Mort ! ô Mort, retire-toi ! » Mécénas fut un galant homme ; Il a dit quelque part : « Qu’on me rende impotent. Cul-de-jatte, goutteux, manchot, pourvu qu’en somme Je vive, c’est assez, je suis plus que content. » Ne viens jamais, ô Mort ! on t’en dit tout autant. 32 La Mort et le Bûcheron Un pauvre Bûcheron, tout couvert de ramée, Sous le faix du fagot aussi bien que des ans Gémissant et courbé, marchait à pas pesants, Et tâchait de gagner sa chaumine enfumée. Enfin, n’en pouvant plus d’effort et de douleur, Il met bas son fagot, il songe à son malheur. Quel plaisir a-t-il eu depuis qu’il est au monde ? En est-il un plus pauvre en la machine ronde ? Point de pain quelquefois, et jamais de repos. Sa femme, ses enfants, les soldats, les impôts, Le créancier et la corvée Lui font d’un malheureux la peinture achevée. Il appelle la Mort ; elle vient sans tarder, Lui demande ce qu’il faut faire. « C’est, dit-il, afin de m’aider À recharger ce bois ; tu ne tarderas guère. » Le trépas vient tout guérir ; Mais ne bougeons d’où nous sommes : 35 Un peu du poil noir qui restait, Afin que son amant en fût plus à sa guise. La jeune saccageait les poils blancs à son tour. Toutes deux firent tant, que notre tête grise Demeura sans cheveux, et se douta du tour. « Je vous rends, leur dit-il, mille grâces, les Belles, Qui m’avez si bien tondu : J’ai plus gagné que perdu ; Car d’hymen point de nouvelles. Celle que je prendrais voudrait qu’à sa façon Je vécusse, et non à la mienne. Il n’est tête chauve qui tienne : Je vous suis obligé, Belles, de la leçon. » 36 Le Renard et la Cigogne Compère le Renard se mit un jour en frais, Et retint à dîner commère la Cigogne. Le régal fut petit et sans beaucoup d’apprêts : Le galant, pour toute besogne, Avait un brouet clair ; il vivait chichement. Ce brouet fut par lui servi sur une assiette : La Cigogne au long bec n’en put attraper miette, Et le drôle eut lapé le tout en un moment. Pour se venger de cette tromperie, À quelque temps de là, la Cigogne le prie. « Volontiers, lui dit-il, car avec mes amis, Je ne fais point cérémonie. » À l’heure dite, il courut au logis De la Cigogne son hôtesse ; Loua très fort sa politesse ; Trouva le dîner cuit à point : Bon appétit surtout, Renards n’en manquent point. Il se réjouissait à l’odeur de la viande Mise en menus morceaux, et qu’il croyait friande. 37 On servit, pour l’embarrasser, En un vase à long col et d’étroite embouchure. Le bec de la Cigogne y pouvait bien passer ; Mais le museau du sire était d’autre mesure. Il lui fallut à jeun retourner au logis, Honteux comme un Renard qu’une poule aurait pris, Serrant la queue, et portant bas l’oreille. Trompeurs, c’est pour vous que j’écris : Attendez-vous à la pareille. 40 Le Coq et la Perle Un jour un Coq détourna Une perle, qu’il donna Au beau premier lapidaire. « Je la crois fine, dit-il ; Mais le moindre grain de mil Serait bien mieux mon affaire. » Un ignorant hérita D’un manuscrit qu’il porta Chez son voisin le libraire. « Je crois, dit-il, qu’il est bon ; Mais le moindre ducaton Serait bien mieux mon affaire. » 41 Les Frelons et les Mouches à miel À l’œuvre on connaît l’artisan. Quelques rayons de miel sans maître se trouvèrent : Des Frelons les réclamèrent ; Des Abeilles s’opposant, Devant certaine Guêpe on traduisit la cause. Il était malaisé de décider la chose : Les témoins déposaient qu’autour de ces rayons Des animaux ailés, bourdonnant, un peu longs, De couleur fort tannée, et tels que les Abeilles, Avaient longtemps paru. Mais quoi ! dans les Frelons Ces enseignes étaient pareilles. La Guêpe, ne sachant que dire à ces raisons, Fit enquête nouvelle, et pour plus de lumière, Entendit une fourmilière. Le point n’en put être éclairci. « De grâce, à quoi bon tout ceci ? Dit une Abeille fort prudente. Depuis tantôt six mois que la cause est pendante, Nous voici comme aux premiers jours. 42 Pendant cela le miel se gâte. Il est temps désormais que le juge se hâte : N’a-t-il point assez léché l’ours ? Sans tant de contredits, et d’interlocutoires, Et de fatras, et de grimoires, Travaillons, les Frelons et nous : On verra qui sait faire, avec un suc si doux, Des cellules si bien bâties. » Le refus des Frelons fit voir Que cet art passait leur savoir ; Et la Guêpe adjugea le miel à leurs parties. Plût à Dieu qu’on réglât ainsi tous les procès ! Que des Turcs en cela l’on suivît la méthode ! Le simple sens commun nous tiendrait lieu de code : Il ne faudrait point tant de frais ; Au lieu qu’on nous mange, on nous gruge, On nous mine par des longueurs ; On fait tant, à la fin, que l’huître est pour le juge, Les écailles pour les plaideurs. 45 Livre deuxième Contre ceux qui ont le goût difficile Quand j’aurais en naissant reçu de Calliope Les dons qu’à ses amants cette muse a promis, Je les consacrerais aux mensonges d’Ésope : Le mensonge et les vers de tout temps sont amis. Mais je ne me crois pas si chéri du Parnasse Que de savoir orner toutes ces fictions. On peut donner du lustre à leurs inventions : On le peut, je l’essaie ; un plus savant le fasse. Cependant jusqu’ici d’un langage nouveau J’ai fait parler le Loup et répondre l’Agneau ; J’ai passé plus avant : les arbres et les plantes Sont devenus chez moi créatures parlantes. Qui ne prendrait ceci pour un enchantement ? « Vraiment, me diront nos critiques, Vous parlez magnifiquement De cinq ou six contes d’enfant. » Censeurs, en voulez-vous qui soient plus authentiques Et d’un style plus haut ? En voici : « Les Troyens, « Après dix ans de guerre autour de leurs murailles, 46 47 « Avaient lassé les Grecs, qui, par mille moyens, « Par mille assauts, par cent batailles, « N’avaient pu mettre à bout cette fière cité ; « Quand un cheval de bois, par Minerve inventé, « D’un rare et nouvel artifice, « Dans ses énormes flancs reçut le sage Ulysse, « Le vaillant Diomède, Ajax l’impétueux, « Que ce colosse monstrueux « Avec leurs escadrons devait porter dans Troie, « Livrant à leur fureur ses dieux mêmes en proie : « Stratagème inouï, qui des fabricateurs « Paya la constance et la peine. » « C’est assez, me dira quelqu’un de nos auteurs : La période est longue, il faut reprendre haleine ; Et puis votre cheval de bois, Vos héros avec leurs phalanges, Ce sont des contes plus étranges Qu’un Renard qui cajole un corbeau sur sa voix : De plus il vous sied mal d’écrire en si haut style. » Eh bien ! baissons d’un ton. « La jalouse Amaryle « Songeait à son Alcippe, et croyait de ses soins 50 L’un dit : « Je n’y vais point, je ne suis pas si sot » ; Chacun fut de l’avis de monsieur le Doyen : Chose ne leur parut à tous plus salutaire. La difficulté fut d’attacher le grelot. L’autre : « Je ne saurais. » Si bien que sans rien faire On se quitta. J’ai maints chapitres vus, Qui pour néant se sont ainsi tenus ; Chapitres, non de rats, mais chapitres de moines, Voire chapitres de chanoines. Ne faut-il que délibérer, La cour en conseillers foisonne : Est-il besoin d’exécuter, L’on ne rencontre plus personne. 51 Le Loup plaidant contre le Renard par-devant le Singe Un Loup disait qu’on l’avait volé : Un Renard, son voisin, d’assez mauvaise vie, Pour ce prétendu vol par lui fut appelé. Devant le Singe il fut plaidé, Non point par avocats, mais par chaque partie, Thémis n’avait point travaillé, De mémoire de singe, à fait plus embrouillé. Le magistrat suait en son lit de justice. Après qu’on eut bien contesté, Répliqué, crié, tempêté, Le juge, instruit de leur malice, Leur dit : « Je vous connais de longtemps, mes amis, Et tous deux vous paierez l’amende : Car toi, Loup, tu te plains, quoiqu’on ne t’ait rien pris ; Et toi, Renard, as pris ce que l’on te demande. » Le juge prétendait qu’à tort et à travers On ne saurait manquer, condamnant un pervers. 52 Les deux Taureaux et une Grenouille Deux Taureaux combattaient à qui posséderait Une Génisse avec l’empire. Une Grenouille en soupirait. « Qu’avez-vous ? » se mit à lui dire Quelqu’un du peuple croassant. « Eh ! ne voyez-vous pas, dit-elle, Que la fin de cette querelle Sera l’exil de l’un ; que l’autre, le chassant, Le fera renoncer aux campagnes fleuries ? Il ne régnera plus sur l’herbe des prairies, Viendra dans nos marais régner sur les roseaux ; Et, nous foulant aux pieds jusque au fond des eaux, Tantôt l’une, et puis l’autre, il faudra qu’on pâtisse Du combat qu’a causé madame la Génisse. » Cette crainte était de bon sens. L’un des Taureaux en leur demeure S’alla cacher à leurs dépens : Il en écrasait vingt par heure. Hélas, on voit que de tout temps Les petits ont pâti des sottises des grands. 55 L’Oiseau blessé d’une flèche Mortellement atteint d’une flèche empennée, Un oiseau déplorait sa triste destinée, Et disait, en souffrant un surcroît de douleur : « Faut-il contribuer à son propre malheur ! Cruels humains ! Vous tirez de nos ailes De quoi faire voler ces machines mortelles. Mais ne vous moquez point, engeance sans pitié : Souvent il vous arrive un sort comme le nôtre. Des enfants de Japet toujours une moitié Fournira des armes à l’autre. » 56 La Lice et sa compagne Une Lice étant sur son terme, Et ne sachant où mettre un fardeau si pressant, Fait si bien qu’à la fin sa compagne consent De lui prêter sa hutte, où la Lice s’enferme. Au bout de quelque temps sa compagne revient. La Lice lui demande encore une quinzaine : Ses petits ne marchaient, disait-elle, qu’à peine. Pour faire court, elle l’obtient. Ce second terme échu, l’autre lui redemande Sa maison, sa chambre, son lit. La Lice cette fois montre les dents, et dit : « Je suis prête à sortir avec toute ma bande, Si vous pouvez nous mettre hors. » Ses enfants étaient déjà forts. Ce qu’on donne aux méchants, toujours on le regrette : Pour tirer d’eux ce qu’on leur prête, Il faut que l’on en vienne aux coups ; 57 Il faut plaider, il faut combattre. Laissez-leur un pied chez vous, Ils en auront bientôt pris quatre. 60 Quand l’Aigle sut l’inadvertance, Elle menaça Jupiter D’abandonner sa cour, d’aller vivre au désert, De quitter toute dépendance, Avec mainte autre extravagance. Le pauvre Jupiter se tut : Devant son tribunal l’Escarbot comparut, Fit sa plainte, et conta l’affaire. On fit entendre à l’Aigle, enfin qu’elle avait tort. Mais les deux ennemis ne voulant point d’accord, Le monarque des Dieux s’avisa, pour bien faire, De transporter le temps où l’Aigle fait l’amour, En une autre saison, quand la race escarbote Est en quartier d’hiver, et comme la marmotte, Se cache et ne voit point le jour. 61 Le Lion et le Moucheron « Va-t-en, chétif insecte, excrément de la terre » : C’est en ces mots que le Lion Parlait un jour au Moucheron. L’autre lui déclara la guerre : « Penses-tu, lui dit-il, que ton titre de roi Me fasse peur, ni me soucie ? Un bœuf est plus puissant que toi ; Je le mène à ma fantaisie. » À peine il achevait ces mots, Que lui-même il sonna la charge, Fut la trompette et le héros. Dans l’abord il se met au large ; Puis prend son temps, fond sur le cou Du Lion, qu’il rend presque fou. Le quadrupède écume, et son œil étincelle ; Il rugit ; on se cache, on tremble à l’environ : Et cette alarme universelle Est l’ouvrage d’un Moucheron. Un avorton de mouche en cent lieux le harcèle ; 62 Tantôt pique l’échine et tantôt le museau. Tantôt entre au fond du naseau. La rage alors se trouve à son faîte montée. L’invisible ennemi triomphe, et rit de voir Qu’il n’est griffe ni dent en la bête irritée Qui de la mettre en sang lui fasse son devoir. Le malheureux Lion se déchire lui-même, Fait résonner sa queue à l’entour de ses flancs, Bat l’air, qui n’en peut mais, et sa fureur extrême Le fatigue, l’abat : le voilà sur les dents. L’insecte du combat se retire avec gloire : Comme il sonna la charge, il sonne la victoire, Va partout l’annoncer, et rencontre en chemin L’embuscade d’une Araignée ; Il y rencontre aussi sa fin. Quelle chose par là nous peut être enseignée ? J’en vois deux, dont l’une est qu’entre nos ennemis Les plus à craindre sont souvent les plus petits ; L’autre, qu’aux grands périls tel a pu se soustraire, Qui périt pour la moindre affaire. 65 Le Lion et le Rat Il faut, autant qu’on peut, obliger tout le monde : On a souvent besoin d’un plus petit que soi. De cette vérité deux fables feront foi, Tant la chose en preuves abonde. Entre les pattes d’un Lion Un Rat sortit de terre assez à l’étourdie. Le roi des animaux, en cette occasion, Montra ce qu’il était, et lui donna la vie. Ce bienfait ne fut pas perdu. Quelqu’un aurait-il jamais cru Qu’un lion d’un rat eût affaire ? Cependant il advint qu’au sortir des forêts Ce Lion fut pris dans des rets, Dont ses rugissements ne le purent défaire. Sire Rat accourut et fit tant par ses dents Qu’une maille rongée emporta tout l’ouvrage. Patience et longueur de temps Font plus que force ni que rage. 66 La Colombe et la Fourmi L’autre exemple est tiré d’animaux plus petits. Le long d’un clair ruisseau buvait une Colombe, Quand sur l’eau se penchant une Fourmi y tombe ; Et dans cet océan l’on eût vu la Fourmi S’efforcer, mais en vain, de regagner la rive. La Colombe aussitôt usa de charité : Un brin d’herbe dans l’eau par elle étant jeté, Ce fut un promontoire où la Fourmi arrive. Elle se sauve ; et là-dessus Passe un certain croquant qui marchait les pieds nus. Ce croquant, par hasard, avait une arbalète : Dès qu’il voit l’oiseau de Vénus, Il le croit en son pot, et déjà lui fait fête. Tandis qu’à le tuer mon villageois s’apprête, La Fourmi le pique au talon. Le vilain retourne la tête : La Colombe l’entend, part et tire de long. Le souper du croquant avec elle s’envole : Point de pigeon pour une obole. 67 L’Astrologue qui se laisse tomber dans un puits Un Astrologue un jour se laissa choir Au fond d’un puits. On lui dit : « Pauvre bête, Tandis qu’à peine à tes pieds tu peux voir, Penses-tu lire au-dessus de ta tête ? » Cette aventure en soi, sans aller plus avant, Peut servir de leçon à la plupart des hommes. Parmi ce que de gens sur la terre nous sommes Il en est peu qui fort souvent Ne se plaisent d’entendre dire Qu’au livre du Destin les mortels peuvent lire. Mais ce livre, qu’Homère et les siens ont chanté, Qu’est-ce, que le Hasard parmi l’antiquité, Et parmi nous, la Providence ? Or, du hasard il n’est point de science : S’il en était, on aurait tort De l’appeler hasard, ni fortune, ni sort, Toutes choses très incertaines. 70 Le Lièvre et les Grenouilles Un Lièvre en son gîte songeait (Car que faire en un gîte, à moins que l’on ne songe ?) ; Dans un profond ennui ce Lièvre se plongeait : Cet animal est triste, et la crainte le ronge. « Les gens de naturel peureux Sont, disait-il, bien malheureux ; Ils ne sauraient manger morceau qui leur profite, Jamais un plaisir pur, toujours assauts divers. Voilà comme je vis : cette crainte maudite M’empêche de dormir, sinon les yeux ouverts. – Corrigez-vous, dira quelque sage cervelle. – Et la peur se corrige-t-elle ? Je crois même qu’en bonne foi Les hommes ont peur comme moi » Ainsi raisonnait notre Lièvre, Et cependant faisait le guet. Il était douteux, inquiet : Un souffle, une ombre, un rien, tout lui donnait la fièvre. 71 Le mélancolique animal, En rêvant à cette matière, Entend un léger bruit : ce lui fut un signal Pour s’enfuir devers sa tanière. Il s’en alla passer sur le bord d’un étang. Grenouilles aussitôt de sauter dans les ondes, Grenouilles de rentrer en leurs grottes profondes. « Oh ! dit-il, j’en fais faire autant Qu’on m’en fait faire ! Ma présence Effraye aussi les gens, je mets l’alarme au camp ! Et d’où me vient cette vaillance ? Comment ! des animaux qui tremblent devant moi ! Je suis donc un foudre de guerre ? Il n’est, je le vois bien, si poltron sur la terre Qui ne puisse trouver un plus poltron que soi. » 72 Le Coq et le Renard Sur la branche d’un arbre était en sentinelle Un vieux Coq adroit et matois. « Frère, dit un Renard, adoucissant sa voix, Nous ne sommes plus en querelle : Paix générale cette fois. Je viens te l’annoncer, descends, que je t’embrasse. Ne me retarde point, de grâce ; Je dois faire aujourd’hui vingt postes sans manquer. Les tiens et toi pouvez vaquer, Sans nulle crainte, à vos affaires ; Nous vous y servirons en frères. Faites-en les feux dès ce soir, Et cependant, viens recevoir Le baiser d’amour fraternel. – Ami, reprit le Coq, je ne pouvais jamais Apprendre une plus douce et meilleure nouvelle Que celle De cette paix ; Et ce m’est une double joie 75 Que le pauvre animal ne put faire retraite. Le berger vient, le prend, l’encage bien et beau Le donne à ses enfants pour servir d’amusette. Il faut se mesurer ; la conséquence est nette : Mal prend aux volereaux de faire les voleurs. L’exemple est un dangereux leurre : Tous les mangeurs de gens ne sont pas grands seigneurs ; Où la guêpe a passé, le moucheron demeure. 76 Le Paon se plaignant à Junon Le Paon se plaignait à Junon. « Déesse, disait-il, ce n’est pas sans raison Que je me plains, que je murmure : Le chant dont vous m’avez fait don Déplaît à toute la nature ; Au lieu qu’un rossignol, chétive créature, Forme des sons aussi doux qu’éclatants, Est lui seul l’honneur du printemps. » Junon répondit en colère : « Oiseau jaloux, et qui devrais te taire, Est-ce à toi d’envier la voix du rossignol, Toi que l’on voit porter à l’entour de ton col Un arc-en-ciel nué de cent sortes de soies, Qui te panades, qui déploies Une si riche queue et qui semble à nos yeux La boutique d’un lapidaire ? Est-il quelque oiseau sous les cieux Plus que toi capable de plaire ? Tout animal n’a pas toutes propriétés. 77 Nous vous avons donné diverses qualités : Les uns ont la grandeur et la force en partage ; Le faucon est léger, l’aigle plein de courage ; Le corbeau sert pour le présage ; La corneille avertit des malheurs à venir ; Tous sont contents de leur ramage. Cesse donc de te plaindre ; ou bien, pour te punir, Je t’ôterai ton plumage. » 80 Le Lion et l’Âne chassant Le Roi des animaux se mit un jour en tête De giboyer : il célébrait sa fête. Le gibier du Lion, ce ne sont pas moineaux, Mais beaux et bons sangliers, daims et cerfs bons et beaux. Pour réussir dans cette affaire, Il se servit du ministère De l’Âne à la voix de Stentor. L’Âne à messer Lion fit office de cor. Le Lion le posta, le couvrit de ramée, Lui commanda de braire, assuré qu’à ce son Les moins intimidés fuiraient de leur maison. Leur troupe n’était pas encore accoutumée À la tempête de sa voix ; L’air en retentissait d’un bruit épouvantable : La frayeur saisissait les hôtes de ces bois, Tous fuyaient, tous tombaient au piège inévitable Où les attendait le Lion. « N’ai-je pas bien servi dans cette occasion ? Dit l’Âne, en se donnant tout l’honneur de la chasse. 81 – Oui, reprit le Lion, c’est bravement crié : Si je ne connaissais ta personne et ta race, J’en serais moi-même effrayé. » L’Âne, s’il eût osé, se fut mis en colère, Encor qu’on le raillât avec juste raison ; Car qui pourrait souffrir un âne fanfaron ? Ce n’est pas là leur caractère. 82 Testament expliqué par Ésope Si ce qu’on dit d’Ésope est vrai, C’était l’oracle de la Grèce : Lui seul avait plus de sagesse Que tout l’Aréopage. En voici pour essai Une histoire des plus gentilles Et qui pourra plaire au lecteur. Un certain homme avait trois filles, Toutes trois de contraire humeur : Une buveuse, une coquette, La troisième, avare parfaite. Cet homme, par son testament, Selon les lois municipales, Leur laissa tout son bien par portions égales, Et donnant à leur mère tant, Payable quand chacune d’elles Ne posséderait plus sa contingente part. Le père mort, les trois femelles Courent au testament, sans attendre plus tard. On le lit, on tâche d’entendre 85 Petits et grands, tout approuva Le partage et le choix : Ésope seul trouva Qu’après bien du temps et des peines Les gens avaient pris justement Le contre-pied du testament. « Si le défunt vivait, disait-il, que l’Attique Aurait de reproches de lui ! Comment ! ce peuple, qui se pique D’être le plus subtil des peuples d’aujourd’hui, A si mal entendu la volonté suprême D’un testateur ? » Ayant ainsi parlé, Il fait le partage lui-même, Et donne à chaque sœur un lot contre son gré ; Rien qui pût être convenable, Partant rien aux sœurs d’agréable : À la coquette, l’attirail Qui suit les personnes buveuses ; La biberonne eut le bétail ; La ménagère eut les coiffeuses. Tel fut l’avis du Phrygien, Alléguant qu’il n’était moyen 86 Plus sûr pour obliger les filles À se défaire de leur bien ; Qu’elles se marieraient dans les bonnes familles, Quand on leur verrait de l’argent ; Paieraient leur mère tout comptant ; Ne posséderaient plus les effets de leur père : Ce que disait le testament. Le peuple s’étonna comme il se pouvait faire Qu’un homme seul eût plus de sens Qu’une multitude de gens. 87 Livre troisième 90 Le Meunier, à ces mots, connaît son ignorance ; Il met sur pieds sa bête, et la fait détaler. L’Âne, qui goûtait fort l’autre façon d’aller, Se plaint en son patois. Le Meunier n’en a cure ; Il fait monter son fils, il suit ; et d’aventure, Passent trois bons marchands. Cet objet leur déplut. Le plus vieux au garçon s’écria tant qu’il put : « Oh là ! oh ! descendez, que l’on ne vous le dise, Jeune homme, qui menez laquais à barbe grise ! C’était à vous de suivre, au vieillard de monter. – Messieurs, dit le Meunier, il vous faut contenter. » L’enfant met pied à terre, et puis le vieillard monte ; Quand trois filles passant, l’une dit : « C’est grand’honte Qu’il faille voir ainsi clocher ce jeune fils, Tandis que ce nigaud, comme un évêque assis, Fait le veau sur son Âne, et pense être bien sage. – Il n’est, dit le Meunier, plus de veau à mon âge : Passez votre chemin, la fille, et m’en croyez. » Après maints quolibets coup sur coup renvoyés, L’homme crut avoir tort, et mit son fils en croupe. Au bout de trente pas, une troisième troupe 91 Trouve encore à gloser. L’un dit : « Ces gens sont fous ! Le Baudet n’en peut plus ; il mourra sous leurs coups. Eh quoi ! charger ainsi cette pauvre bourrique ! N’ont-ils point de pitié de leur vieux domestique ? Sans doute qu’à la foire ils vont vendre sa peau. – Parbleu, dit le Meunier, est bien fou du cerveau Qui prétend contenter tout le monde et son père. Essayons toutefois, si par quelque manière Nous en viendrons à bout. » Ils descendent tous deux. L’Âne, se prélassant, marche seul devant eux. Un quidam les rencontre, et dit : « Est-ce la mode Que Baudet aille à l’aise, et Meunier s’incommode ? Qui de l’Âne ou du Maître est fait pour se lasser ? Je conseille à ces gens de le faire enchâsser. Ils usent leurs souliers, et conservent leur Âne. Nicolas, au rebours : car, quand il va voir Jeanne, Il monte sur sa bête ; et la chanson le dit. Beau trio de baudets ! » Le Meunier repartit : « Je suis âne, il est vrai, j’en conviens, je l’avoue ; Mais que dorénavant on me blâme, on me loue, Qu’on dise quelque chose ou qu’on ne dise rien ; J’en veux faire à ma tête. » Il le fit, et fit bien. 92 Quant à vous, suivez Mars, ou l’Amour, ou le Prince ; Allez, venez, courez ; demeurez en Province ; Prenez femme, abbaye, emploi, gouvernement : Les gens en parleront, n’en doutez nullement. 95 La plupart s’en allaient chercher une autre terre, Quand Ménénius leur fit voir Qu’ils étaient aux membres semblables, Et par cet apologue, insigne entre les fables, Les ramena dans leur devoir. 96 Le Loup devenu Berger Un loup qui commençait d’avoir petite part Aux brebis de son voisinage, Crut qu’il fallait s’aider de la peau du renard Et faire un nouveau personnage. Il s’habille en berger, endosse un hoqueton, Fait sa houlette d’un bâton, Sans oublier la cornemuse. Pour pousser jusqu’au bout la ruse, Il aurait volontiers écrit sur son chapeau : « C’est moi qui suis Guillot, berger de ce troupeau. » Sa personne étant ainsi faite Et ses pieds de devant posés sur sa houlette, Guillot le sycophante approche doucement. Guillot, le vrai Guillot, étendu sur l’herbette, Dormait alors profondément. Son chien dormait aussi, comme aussi sa musette ; La plupart des brebis dormaient pareillement. L’hypocrite les laissa faire, Et pour pouvoir mener vers son fort les brebis 97 Il voulut ajouter la parole aux habits, Chose qu’il croyait nécessaire. Mais cela gâta son affaire : Il ne put du pasteur contrefaire la voix. Le ton dont il parla fit retentir les bois, Et découvrit tout le mystère. Chacun se réveille à ce son, Les brebis, le chien, le garçon. Le pauvre Loup, dans cet esclandre, Empêché par son hoqueton, Ne put ni fuir ni se défendre. Toujours par quelque endroit fourbes se laissent prendre. Quiconque est Loup agisse en loup ; C’est le plus certain de beaucoup.
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