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Manon Lescaut Cours complet, Lectures de Français

cours complet sur Manon Lescaut avec citations, résume détaillé et idées d'ouverture

Typologie: Lectures

2022/2023

Téléchargé le 08/06/2023

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Télécharge Manon Lescaut Cours complet et plus Lectures au format PDF de Français sur Docsity uniquement! Prévost : Une vie romanesque : Celui que l'on appelle aujourd'hui l'abbé Prévost s'était choisi pour nom de plume « Prevost d'Exiles », patronyme digne d'un héros de roman. Il est vrai que sa vie parait bien romanesque», dans l'un des sens donnés par le dictionnaire: « qui évoque le roman par ses aventures extraordinaires, ses péripéties nombreuses, ses rebondissements imprévus, sa destinée exceptionnelle. ». Citons Sainte-Beuve qui dira de lui : “Sa vie, en effet, fut pour lui le premier de ses romans et comme la matière de tous les autres. “ Souvent on a voulu voir dans les aventures de ses personnages une transposition des siennes propres. En réalité, l'imagination de Prévost est suffisamment fertile pour qu'on écarte une telle interprétation. Mais ses hésitations personnelles entre des aspirations contraires - la tranquillité de l'étude et de la foi, la passion amoureuse, l'aventure militaire, une extrême curiosité intellectuelle - ont très certainement nourri les tourments de ses héros. De même, il a sans doute retiré de la diversité de ses expériences la connaissance du monde et de la société que ses romans attestent. Entre le démon de l'aventure et la foi Antoine-François Prévost naît le fer avril 1697 à Hesdin en Artois, dans une famille de bonne bourgeoisie où l'on est prêtre ou magistrat. Orphelin de mère, son père, procureur du roi, le fait entrer en 1711 chez les Jésuites (ordre catholique tourné vers l’évangélisation, l’éducation, la justice sociale). Mais le jeune homme est tiraillé entre le clergé et les armes. Il fugue à 15 ans pour chercher la gloire dans l'armée du roi, mais revient dès 1713 à ses études chez les Jésuites. En 1717, il commence son noviciat, période d'initiation à la vie religieuse au cours de laquelle le candidat, le « novice », mûrit sa décision. Une nouvelle fugue en 1718 pour contracter un second engagement militaire est suivie d'une prompte désertion. À partir de 1720, il revient à la vie religieuse en entrant chez les Bénédictins (devise : Prie et travaille, travail à la fois intellectuel et physique : le but est que le monastère puisse vivre en autarcie en sortant le moins possible), prononce ses vœux puis est ordonné prêtre (1726). Antoine-François, devenu abbé Prevost, s'est- il assagi ? En réalité, il se sent prisonnier d'une condition monastique qui lui paraît semblable à la mort et dans laquelle il s'est enfermé, écrit-il, à la suite d'une déception amoureuse. Son cœur, comme celui du Chevalier Des Grieux, attend « quelque chose de plus ». Ainsi sa vie rebondit-elle encore: en 1728, il s'échappe de son abbaye de Saint-Germain-des-Prés. Entre Paris et l’étranger : Il se réfugie à Londres, devient précepteur dans une famille de protestants tolérants. Mais à la suite d'une liaison avec la fille de son protecteur, il doit gagner la Hollande dès la fin de 1730. À Amsterdam, il rencontre une aventurière qui le ruine et l'entraîne dans des aventures rocambolesques, les dettes qu’il a contractées et les escroqueries auxquelles il s’est livré, pour satisfaire sa maitresse éprise de luxe l’oblige à repartir à Londres en 1733, mais y est menacé de prison pour des soucis financiers. Rentré à Paris en 1734, Prévost fréquente les salons philosophiques, se rapproche des voltairiens. Il est protégé par le prince de Conti qui en fait son aumônier (1736). Mais toujours « vif et sensible au plaisir » tel qu'il se décrit lui-même, il s'acquiert une réputation de débauché. Des problèmes d'argent le contraignent encore à quelques exils (entre 1740 et 1742). Après cinquante ans, il adopte un mode de vie plus paisible, s'installe à Chaillot puis à Chantilly. Restant à l'écart de la bataille encyclopédique (nombreux obstacles (polémiques, interdictions, censurés) qui ont fait entrave à l’élaboration et la publication de l’encyclopédie), il est marginalisé dans la vie intellectuelle mais se lie avec Jean-Jacques Rousseau. Il meurt brutalement en 1763, à l'âge de 66 ans. Sa vocation d’écrivain : Cette existence mouvementée n'a pas empêché Prévost de lire et écrire énormément. Il semble avoir contracté la passion de la lecture dès son plus jeune âge : à douze ans, il dévore les tragédies de Racine. Constamment, il a cherché à vivre de sa plume. Il nous laisse une œuvre colossale de 168 volumes, commencée alors qu'il est encore chez les Bénédictins et poursuivie tout au long de sa vie, dans les heurs et les malheurs. Prévost est un esprit curieux de tout. C'est un polygraphe, c'est-à-dire qu'il écrit différents genres d'ouvrages. Il compose plusieurs très longs romans, parmi lesquels les Mémoires d'un Homme de qualité en sept volumes (1728-1731, Manon Lescaut en est le septième), l'Histoire de M. Cleveland, également en sept volumes (1731-1739). Il rédige aussi des chroniques consacrées à la culture et à la littérature anglaises dans un périodique qu'il lance à Londres en 1733 et qu'il poursuivra jusqu'en 1740, Le Pour et Contre. Il est l'auteur d'une Histoire générale des voyages en vingt volumes, somme rassemblant les connaissances d'un homme cultivé au XVIIIe siècle, mêlant aux récits de voyages des informations historiques et géographiques. Enfin c'est un traducteur qui fait connaître au public français les romans de Samuel Richardson (très apprécié en France et qui a écrit Pamela, Clarisse, Harlowe). L’œuvre : Lorsque Prévost publie le septième et dernier tome des Mémoires d'un homme de qualité qui s'est retiré du monde, le genre du roman connaît un véritable renouveau et tente d'acquérir ses lettres de noblesse. En effet, de l'Antiquité au siècle des Lumières, le roman a souffert d'un manque de respectabilité dans la hiérarchie littéraire : Aristote lui a refusé sa place dans la classification des genres qu'il a établie au sein de la Poétique; plus tard, au xvIle siècle, on lui a reproché de se complaire à la peinture de réalités triviales, voire immorales. L’oeuvre amène à nous interroger sur notre capacité à concilier bonheur terrestre et vertu en estompant les limites franches entre le bien et le mal. L'homme de qualité la présente comme la retranscription du récit oral qu'il a recueilli du Chevalier Des Grieux lui-même, et explique dans l'« Avis de l'auteur » pourquoi il ne l'insère pas dans sa propre narration : « un récit de cette longueur aurait interrompu trop longtemps le fil de ma propre histoire. »; La véritable raison, c'est que cette histoire possède son unité et sa cohérence propres. D'ailleurs, dès 1733, Prévost la fait publier comme un récit indépendant, l'intitulant Les Aventures du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut. Manon Lescaut se distingue des autres romans de Prévost par sa brieveté et la simplicité de son intrigue : tous les événements s'enchaînent pour l'orienter vers une fin tragique. Manon Lescaut fait scandale par l'immoralité qu'on lui prête: le roman est d'ailleurs par deux fois retiré de la vente (en 1733 et en 1735). Certains critiques attaquent ce « livre abominable » par ses personnages, un « escroc » et une « coureuse sortie de l'Hôpital et envoyée au Mississipi à la chaîne »; d'autres s'en prennent à l'auteur. Cependant les critiques reconnaissent tous l'art de l'écrivain : le style de l'écriture, son talent pour rendre ses personnages vrais. A - La forme du roman: un récit à la première personne L'emploi de la première personne dans un roman favorise l'adhésion du lecteur au récit, et lui fait épouser le point de vue du narrateur. Quel point de vue exprime chaque narrateur de ce roman ? 1. L'homme de qualité : Le marquis de Renoncour est l'homme de qualité qui écrit ses mémoires et choisit de rapporter le récit que lui a confié Des Grieux. Quoiqu'en marge de l'histoire principale, son rôle est essentiel pour impliquer le lecteur et orienter sa lecture. a ) Une figure d’auteur L'homme de qualité est l'énonciateur de l'« Avis de l'auteur ». Il explique pourquoi il publie à part de ses Mémoires l'histoire du Chevalier (« un récit de cette longueur aurait interrompu trop longtemps le fil de ma propre histoire »). Il prévient l'objection de frivolité qu'on pourrait lui faire (« Un lecteur sévère s'offensera peut-être de me voir reprendre la plume à mon âge ») en attribuant aux « aventures de fortune et d'amour » qu'il relate la valeur d'une leçon morale. Il apaise donc la méfiance du lecteur en reprenant le principe classique : plaire et instruire : « Les personnes de bon sens ne regarderont point un ouvrage de cette nature comme un amusement inutile. Outre le plaisir d'une lecture agréable, on y trouvera peu d'événements qui ne puissent servir à l’instruction des mœurs et c'est rendre à mon avis un service considérable au public que de l'instruire en le divertissant. » Le marquis concentre l'instruction morale sur le cas de Des Grieux, mais il souligne aussi la difficulté qu'il y a à porter un jugement tranché sur le personnage : « un caractère ambigu, un mélange de vertus et de vices, un contraste perpétuel de bons sentiments et d'actions mauvaises. » b) Un garant de l’authenticité L'homme de qualité présente en détails les concours de circonstances qui lui ont fait rencontrer Des Grieux pour persuader le lecteur de la véracité de la rencontre. Il donne un deuxième gage d'authenticité en affirmant l'entière exactitude avec laquelle il retranscrit le récit du Chevalier. «Rien n'est plus exact et plus fidèle que cette narration. Je dis fidèle jusque dans la relation des réflexions et des sentiments que le jeune aventurier exprimait de la meilleure grâce du monde. [...]Je n'y mêlerais rien qui ne soit de lui. » Première partie. c) Un intermédiaire bienveillant L'homme de qualité prédispose le lecteur à la bienveillance et à la compassion envers Des Grieux et Manon. II ressent de la sympathie pour eux et formule des appréciations élogieuses. Ainsi distingue-t-il d'emblée Manon parmi les douze filles enchaînées : il lui trouve une noblesse qui ne correspond pas à la condition honteuse à laquelle elle est réduite. Elle lui inspire « du respect et de la pitié ». Envers Des Grieux, il éprouve également de la pitié (« je n'ai jamais vu plus vive image de la douleur ») et de l'estime (« on distingue au premier coup d'œil une personne qui a de la naissance et de l'éducation »). Il lui apporte son secours financier. Or le marquis est un homme grave, sage, vertueux, et il a lui-même beaucoup souffert. Être reconnu par cette âme d'élite peut donc signifier que les personnages dont le lecteur va lire l'histoire méritent plus qu'une simple curiosité. « Je découvris dans ses yeux, dans sa figure, et dans tous ses mouvements, un air si fin et si noble, que je me sentis porté naturellement à lui vouloir du bien.» Première partie. 2. Des Grieux : En préambule au récit de ses malheurs, le Chevalier conclut un pacte de sincérité avec son auditeur : il promet une confession puisqu'il ne taira pas ses fautes. Conscient de mériter le blâme, il escompte susciter aussi de la pitié, signifiant ainsi qu'il ne se juge pas entièrement coupable. a) Une relecture tragique du passé : Des Grieux narre a posteriori: connaissant l'issue tragique de son histoire, il la raconte comme un enchaine-ment conduisant inexorablement à cette fin, et ce, depuis la rencontre de Manon. De fait les expressions impliquant une fatalité abondent: « sort », « funeste ascendant », « destinée », « Fortune ». Ce que recouvre cette fatalité n'est pas fixe : tantôt il s'agit du caractère de Manon (« son penchant au plaisir [...] qui causa dans la suite tous ses malheurs et les miens »), tantôt de la « rigueur du Ciel », tantôt de la passion amoureuse. Le Chevalier dépeint son amour comme une passion, qui vient du latin patior « subir, souffrir ». Comme chez Racine (célèbre auteur de tragédies du XVIIe siècle, qui a été beaucoup lu par Prévost dont les personnages s'expriment souvent dans un style racinien) la passion s'empare de l'âme, annihile la volonté et la lucidité. D'ailleurs Des Grieux s'exprime comme le ferait un personnage racinien en ponctuant son propos de « hélas ! », en traitant Manon de « cruelle », « ingrate », « perfide »... Le passage du « vous » au « tu » dans la citation suivante est racinien : « Inconstante Manon, [...] fille ingrate et sans foi, où sont vos promesses, et vos serments ? Amante mille fois volage et cruelle, qu'as-tu fait de cet amour que tu me jurais encore aujourd'hui? » De plus, Des Grieux raconte ses aventures en les dramatisant. Le récit peut se diviser en actes dont les pivots seraient les trois « trahisons » de Manon. Comme dans une tragédie, chaque moment de bonheur est suivi d'une chute brutale qui fait tomber les amants dans un malheur tou jours plus grand, jusqu'a l'ultime péripétie qui conduit à la mort de Manon. b) Un récit pathétique : Des Grieux suscite habilement la compassion en jouant sur les points de vue : il adopte tantôt celui du personnage qu'il était alors, tantôt celui du narrateur qu'il est désormais. Ainsi, il diffère parfois une information dont il ne disposait pas au moment des faits. Par exemple, l'explication du rôle joué par M. de B... et par Manon dans son enlèvement ne nous est donnée qu'ensuite, de la bouche de son père, comme il l'avait reçue lui-même. Il nous fait alors parta-der son ignorance inquiète, puis la douleur que lui a infligé la révélation. On trouve d'autres passages similaires, tous destinés à nous communiquer l'angoisse qu'il éprouvait (épisodes du prince italien, de G... M... fils). À l'inverse, il use de la prolepse (procédé par lequel sont mentionnés des faits qui se produiront plus tard dans le récit) en annonçant un événement ultérieur avant de revenir au cours du récit. Le lecteur est alors prévenu de l'issue malheureuse de l'événement, ce qui jette une ombre menaçante sur tout ce qui va y conduire. c) Un plaidoyer (discours en faveur de quelqu'un ou de quelque chose.) Maintenant qu'il se prétend rentré dans les voies de l'honneur et de la vertu, on s'attendrait à ce que Des Grieux se juge. Or, s'il manifeste parfois de la honte (« Le dirais- je à ma honte? ») et des remords (« combien je devrais verser de larmes en songeant. »), souvent il ne commente guère ses fautes, même les plus graves (quand il tue le domestique lui barrant la voie de l'évasion de Saint-Lazare). En réalité, le récit de Des Grieux est un plaidoyer dans lequel il cherche à se déresponsabiliser. Il invoque sa naïveté, son inexpérience. Il dilue ses erreurs propres en invoquant une supposée loi de l'amour: « Donnez-moi un amant qui n'entre point aveuglément dans tous les caprices d'une maîtresse adorée, et je conviendrai que j'eus tort de céder aussi facilement », « L'amour et la jeunesse avaient causé tous nos désordres. » Première partie. Mieux encore, il se présente comme la victime d'une fatalité qui le prive de tout libre-arbitre (volonté libre; faculté qui, dans la tradition chrétienne, est le propre de l’homme). On est donc en droit de se demander si Des Grieux n'agit pas avec son auditeur comme il l'a déjà fait avec Tiberge ou le supérieur de Saint- Lazare, c'est-à-dire en dosant dans son récit vérité et omissions pour présenter les choses sous un jour favorable. Mais en définitive, il s'agit moins d'un plaidoyer pour sa propre personne qu'une apologie de l'amour, cet amour qui est la meilleure part de lui-même. Le lecteur ne peut qu'être ému par les sacrifices auxquels Des Grieux consent : ils lui confèrent une forme d’héroïsme. B - Manon un personnage énigmatique : Manon Lescaut incarne la femme fatale, mystérieuse et irrésistible. Si ses mœurs sont légères, c'est que son goût de l'argent et des caprices coûteux justifie la nécessité d'être entretenue. Cependant, le personnage de Manon ne se résume pas à la figure de la courtisane, marquée par une misère matérielle et morale. a) Manon, célèbre inconnue : Le titre voulu par l'auteur (Histoire du Chevalier Des Grieux et de Manon Lescaut) fait de Manon la protagoniste du récit à l'égal du Chevalier. La réception (façon dont le texte a le pouvoir économique (M. de B..., ., G... M... père et fils), des représentants de l'Etat (le Lieutenant de Police, M. de T..., fils d'un administrateur de l'Hôpital). Le peuple n'est pas idéalisé : domestiques parfois voleurs, gardiens de prison ou soldats prompts à se laisser acheter, jeunes filles sans ressources marchandant leur corps (Manon, la jeune fille qu'elle envoie à Des Grieux), conducteurs de coches, marginaux flirtant avec l'illégalité comme Lescaut et les hommes de main qu'il recrute. Le roman rend compte des préoccupations du quotidien (logement, transport, vêtements) et de l'importance de l'argent, égrené en écu, louis, franc, pistole ou livre. Les soucis financiers ponctuent toutes les aventures des héros. Les sommes possédées, dépensées, obtenues, subtilisées sont décomptées et recomptées ! c) Un réalisme original: Le traitement de la réalité diffère de celui que l'on trouve dans d'autres romans de l'époque de Prévost. La vie quotidienne et les réalités sociales n'étant pas considérées comme un sujet noble, le style de ces romans était comique, voire burlesque. Manon Lescaut, en revanche, allie à la trivialité un style noble, un lyrisme sombre et tragique. D - La quête du bonheur : Au XVIlle siècle, on se dégage d'une perspective religieuse selon laquelle l'homme devrait avant tout œuvrer à son salut dans l'au-delà, après la mort, et on juge légitime son aspiration à accomplir son bonheur ici-bas, dans le monde où il vit. Mais quel est ce bonheur, où le trouver ? Le roman de Prévost est travaillé par des interrogations douloureuses sur la nature du bonheur et sur la possibilité de son accomplissement. a) Chercher le bonheur dans les plaisirs ? : Manon place d'abord son bonheur dans les plaisirs matériels: une vie confortable et des divertissements. Ce n'est pas l'argent qu'elle recherche, mais ce qu'il procure dans la société où elle vit. Ce n'est pas non plus le luxe, car elle n'aime pas « le faste des grandes dépenses » mais seulement « des amusements de son goût ». Tout l'incite à rechercher le bien-être matériel. Son origine sociale lui fait redouter la pauvreté mais non envisager d'y remédier par le travail (domestique, blanchisseuse... ou tout autre métier réservé au petit peuple). Son frère Lescaut et les hommes fortunés disposés à l'entretenir fastueusement l'encouragent dans cette voie. Mais une telle vie ne peut la satisfaire. Vivant depuis deux ans dans les plaisirs grâce à M. de B…, elle a expérimenté que le bonheur ne réside point dans ceux-ci, et « ne suivant que le louvent de son coeur », cherche à revoir Des Grieux. « C'était du plaisir et des passe-temps qu'il lui fallait. Elle n'eût jamais voulu toucher un sou, si l'on pouvait se divertir sans qu'il en coûte. » Première partie. b) Chercher le bonheur dans la seule vertu ? : Après la première trahison de Manon, Des Grieux croit que le bonheur se confond avec une vie « simple et chrétienne », vouée à « l'étude » et « à la religion », loin de «tous les plaisirs du monde » et surtout des « dangereux plaisirs de l'amour ». Tout le pousse dans la voie ecclésiastique : son statut de cadet dans une famille noble, ses dons intellectuels distingués par l'évêque, l'exemple de son ami Tiberge. Mais lui aussi sent bien que « le système de vie paisible et solitaire » qu'il imagine, pourtant conforme à ses inclinations, ne suffit pas à donner tout son sens à sa vie. c) L’idéal de bonheur : Le bonheur réside donc pour Des Grieux, mais aussi pour Manon, dans un contentement du cœur que seul un amour partagé et délicat peut procurer. La passion amoureuse emplit le cœur d'une « délectation » sans commune mesure avec la « tranquillité » que procure à Des Grieux le séjour à Saint-Sulpice. L'amour donne tout son sens à la vie. Le mot « cœur » tant de fois répété dans le texte désigne le siège de la sensibilité, considérée au XVIIIe siècle comme ce qu'il y a de meilleur dans la nature humaine. Pour Prévost, la richesse de la sensibilité est même un signe de la noblesse de l’âme. « Mais à la fin d'un si sage arrangement, je sentais que mon cœur attendait encore quelque chose, et que pour n'avoir rien à désirer dans la plus charmante solitude, il y aurait fallu être avec Manon. » Première partie. « Mais vous ne sauriez croire combien ie suis changée. Mes larmes […] n'ont pas eu une seule fois mes malheurs pour objet. […] je n'ai pleuré que de tendresse et de compassion pour vous.» Seconde partie. C'est pourquoi la passion amoureuse, qui permet à la sensibilité de s'épanouir pleinement, n'est pas mauvaise, au contraire de la vision qu'en donnait le XVIIe siècle. Amour et vertu ne sont pas incompatibles. L'amour exalte même des vertus comme la générosité, le don de soi, chez Des Grieux mais aussi chez Manon quand ils sont au Nouveau Monde. d) L’impossibilité du bonheur : Le récit de Des Grieux résonne tout entier de cette interrogation angoissée : « L'amour est une passion innocente; comment s'est-il changé pour moi en une source de misères et de désordres ? » Dans le roman de Prévost, ce ne sont pas l'amour et la vertu, mais l'amour et la société qui sont incompatibles. Les « désordres » qu'évoque Des Grieux sont les conséquences des obstacles mis par la société à l'aspiration légitime au bonheur de l'amour. Les préjugés moraux et les structures sociales empêchent Des Grieux d'épouser Manon, et empêchent aussi Manon de se mettre tout de suite au diapason du Chevalier, car il lui faut du temps avant de se détacher de son ancienne mentalité. Dès lors, le bonheur ne pourrait être atteint que dans une nouvelle société, ou en dehors de la société humaine. Or nul ne peut vivre hors de la société : la fuite ultime dans le désert, qui provoque la mort de Manon, le démontre bien. «C'est à la Nouvelle-Orléans qu'il faut venir […] quand on veut goûter les vraies douceurs de l’amour. C'est ici qu'on s'aime sans intérêt, sans jalousie, sans inconstance. Nos compatriotes y viennent chercher de l'or, ils ne s'imaginent pas que nous y avons trouvé des trésors bien plus estimables. » Seconde partie. Et il est utopique de croire en une société radicalement différente. Les instants de bonheur que goûtent les amants lors de la traversée pour l'Amérique et à la Nouvelle-Orléans dépendent d'une suspension illusoire des règles sociales: dès que l'on sait qu'ils ne sont pas mariés, Manon redevient un objet de convoitise que les puissants peuvent utiliser à leur gré, et les droits de l'amour sont bafoués. Le parcours : Le terme « marge » désigne un espace situé en bordure, a la frontière. Un individu en marge se définit par une dif-ference quelconque qui l'isole de son entourage. • On peut être marginal volontairement, en transgressant les lois, les coutumes, les normes sociales ou les règles morales du groupe dont on devrait faire partie (voleur, vagabond, meurtrier...). Mais on peut l'etre malgre sol, quand on est mis à l'écart par les autres en raison d'une différence à laquelle on ne peut rien, constitutive de sa nature (un élément physique, un handicap...) ou de sa condition. Les plaisirs du romanesque évoque le plaisir que l'on prend à lire un roman. Le plaisir du romanesque provient des ingrédients attendus dans un roman: des aventures vécues par des personnages intéressants et les sentiments qu'ils éprouvent. Le nom « romanesque » peut aussi avoir un sens plus pré-cis: il se réfère alors à une certaine catégorie de romans, qui fait la part belle aux aventures extraordinaires, aux personnages exceptionnels, aux sentiments exaltes. A - Chevalier en marge et romanesque de l’aventure : 1. Lien avec le parcours a) Le chevalier errant, premier héros romanesque Le roman de chevalerie du Moyen Âge a pour personnage principal un chevalier errant en quête d'aventures, qui sont comme autant d'épreuves qu'il doit surmonter pour prouver sa valeur au combat, mériter sa place à la cour du roi Arthur ou se montrer digne de sa « dame » de cœur. Le chevalier se met « en marge » : il quitte son lieu d'origine et s'aventure seul de par le monde. Dans l'imaginaire du roman médiéval, certains lieux sont propices à la rencontre de l'aventure : espaces aux lisières du monde familier, dans lesquels on pénètre en franchissant une limite : l'orée d'une forêt, le gué d'une rivière, un pont, la porte d'un château... L'errance confronte le chevalier à la « merveille » - êtres ou événements surnaturels et énigmatiques dont il doit savoir percer le sens. Son honneur et son destin sont en jeu : il ne trouvera sa place dans la société que s'il réussit sa quête. Le héros romanesque médiéval est donc un personnage en marge qui pourtant incarne l'idéal chevaleresque : bravoure, intelligence, dévouement envers son seigneur et la femme aimée. b) Mais aussi un antihéros Avec Don Quichotte, le romancier espagnol Cervantes a donné au roman son premier antihéros. Alonso Quichano, pauvre hidalgo originaire de la Manche - une région misé. rable d'Espagne -, dévore les romans de chevalerie... au point d'en devenir fou. Persuadé d'être un chevalier errant du Moyen Âge, il prend le nom de Don Quichotte de la Manche tandis que son instinct, qu'on lui présentait comme le « mal », lui dicte ses actes les plus « nobles ». « Je me suis dit que j'allais reprendre le chemin du mal, ce qui était bien dans mon caractère » c) Louis-Ferdinand Céline, Voyage au bout de la nuit, 1932 C'est un auteur reconnu pour son talent mais condamné pour son évolution idéologique ultérieure : pendant la Seconde Guerre mondiale il a collaboré avec l'occupant et écrit des pamphlets antisémites d'une extrême violence. Ferdinand Bardamu, le narrateur du Voyage au bout de la nuit, raconte son expérience de la Première Guerre mondiale, du colonialisme en Afrique, des États-Unis où il travaille comme ouvrier dans l'industrie à Détroit, de son exercice de la médecine dans une banlieue pauvre de Paris... Mais Bardamu ne trouve nulle part sa place. Son errance est une descente dans un désespoir toujours plus profond face à l'absurdité du monde et l'omniprésence du mal. Cette vision très noire est exprimée dans une langue mêlant des tournures orales et argotiques à un registre très soutenu. C - Les personnages en marge : des héros très romanesques 1. Lien avec le parcours a) Promotion du peuple au statut de héros romanesque Les « personnages en marge » des grands romans du XIXe siècle sont le plus souvent issus du peuple: Julien Sorel (Le Rouge et le Noir, Stendhal); Jean Valjean et Fantine (Les Misérables, Hugo); Gervaise, Étienne Lantier (L'Assommoir, Germinal, Zola). Antihéros parce que ce sont des êtres ordinaires, qu'ils peuvent échouer ou tomber dans la déchéance, ils ont toutefois une dignité dont le picaro était dépourvu. En effet, le romancier en fait des héros de roman à part entière, c'est-à-dire des personnages riches d'une vie intérieure et d'une personnalité qui suscitent l'intérêt du lecteur. Certains d'entre eux acquièrent une stature de véritables héros. C'est le cas de Julien Sorel, héros romantique se révoltant contre une société qui l'exclut et revendiquant sa singularité. Jean Valjean, par les épreuves qu'il surmonte et la grandeur de ses sacrifices, atteint une sorte de sainteté. b) Des marginaux revendiqués Certains personnages romanesques sont des marginaux par choix : ils vivent en masquant leur être et leur pensée véritables, pour mieux exercer leur volonté de puissance sur les autres. Ils fascinent et suscitent à la fois admiration et répulsion. Dotés de qualités exceptionnelles - l'intelligence, la lucidité, la séduction, le courage - ils ne les utilisent pas au service du bien. Ce sont des antihéros au sens où ils portent des valeurs antisociales et antihumanistes, c’est pourquoi on parle parfois de « héros négatifs ». Ils présentent leur vision cynique des hommes et des rouages sociaux comme un tableau lucide : ils révéleraient la vérité masquée sous les conventions. Parmi ces personnages se trouvent Madame de Merteuil (Les Liaisons dangereuses, Laclos), Vautrin (Le Père Goriot, Splendeurs et misères des courtisanes, Balzac), ou même, mais en partie seulement, Edmond Dantes (Le Comte de Monte-Cristo, Dumas). 2. Exemples pour la dissertation, idées d’ouvertures pour la dissertation et le commentaire a) Pierre-Choderlos de Laclos, Les Liaisons dangereuses, 1782 Dans la préface, l'auteur affirme une intention moraliste : « Il me semble que c'est rendre un service aux mœurs que de dévoiler les moyens qu'emploient ceux qui en ont de mauvaises pour corrompre ceux qui en ont de bonnes. » En effet, les personnages principaux sont deux aristocrates libertins, la marquise de Merteuil et le vicomte de Valmont, qui s'allient pour manipuler autrui et satisfaire leurs désirs. Mais la marquise est un personnage complexe. Libertine qui se masque sous les apparences de la vertu, c'est aussi une femme intelligente qui sait décrypter l'hypocrisie sociale. Elle est décidée à conquérir la liberté qu'un ordre patriarcal étouffant lui refuse et à prendre sa revanche sur les hommes. C'est ce qu'elle explique au vicomte dans la lettre 81. « Entrée dans le monde dans le temps où, fille encore, j'étais vouée par état au silence et à l’inaction, j'ai su en profiter pour observer et réfléchir. » b) Honoré de Balzac, Le Père Goriot, 1835 Honoré de Balzac est l'auteur d'un colossal ensemble romanesque intitulé La Comédie humaine, qui se veut la réplique de toute la société de son temps. La particularité de cette œuvre est de faire revenir certains personnages d'un roman à l'autre. C'est le cas pour certains personnages du Père Goriot : Eugène de Rastignac et Vautrin. Rastignac est un jeune noble de province dont la famille est ruinée. À Paris où il fait ses études, il rencontre un personnage inquiétant et mystérieux, Vautrin, qui prétend vouloir l'aider à réussir dans la vie. Vautrin est en réalité un bandit et un forçat évadé : pour convaincre le jeune homme de s'associer avec lui, il lui expose sa vision cynique du fonctionnement de la société. « Il faut vous manger les uns les autres comme des araignées dans un pot.» « Savez-vous comment on fait son chemin ici? Par l'éclat du génie ou par ladresse de la corruption. » c) Alexandre Dumas, Le Compte de Monte-Crsito, 1844-1846 Ses romans de cape et d'épée et d'aventures, emplis d'actions et de péripéties sont restés célèbres : Les Trois mousque-taires, La Reine Margot... Le Comte de Monte-Cristo est l'histoire d'une injustice, puis d'une obsession de la vengeance, qui maintiennent un homme, sa vie durant, dans la marginalité. En 1815, Edmond Dantès, jeune officier de marine, est injustement emprisonné au château d'If à la suite d'un complot machiné contre lui. Là, un autre prisonnier, l'abbé Faria, lui transmet son prodigieux savoir et lui révèle le secret d'un trésor caché sur l'ile de Monte-Cristo. Au bout de quatorze ans, Dantes réussit à s'évader et s'établit sur l'ile de Monte-Cristo, repère à partir duquel il prépare sa vengeance. d) Victor Hugo, Les misérables 1862 Les Misérables racontent la lutte de l'ancien forçat Jean Valjean pour rester honnête homme. Obligé d'emprunter de fausses identités pour échapper au policier Javert, Jean Valjean est placé, dans un épisode célèbre, face à une épreuve. Tandis que sous le nom de M. Madeleine, il est le maire unanimement apprécié pour sa générosité de la commune de Montreuil-sur-Mer, il apprend qu'un pauvre homme est accusé d'être le forçat évadé Jean Valjean. Que faire ? Laisser condamner l'innocent et continuer ses bonnes actions à Montreuil ? Ou se dénoncer et retourner au bagne ? De sa réponse à ce dilemme dépend son salut. « Douloureuse destinée ! Il n'entrerait dans la sainteté aux yeux de Dieu que s'il rentrait dans l'infamie aux yeux des hommes ! » C - Le personnage en marge, porteur d’interrogations philosophiques 1. Exemples pour la dissertation, idées d’ouverture pour la dissertation et le commentaire a) Jean-Paul Sarthe, La Nausée, 1938 Jean-Paul Sartre est célèbre pour son œuvre philosophique aussi bien que littéraire, ainsi que pour ses engagements politiques. Il représente le courant philosophique de l'existentialisme. La Nausée est un roman qui prend la forme du journal que rédige Antoine Roquentin, célibataire d'une trentaine d'années vivant dans une petite ville normande. Roquentin se détourne de son travail (il avait le projet d'écrire un livre d'histoire), se défait progressivement de ses attaches au monde et le voit alors dans sa nudité, débarrassé des illusions que les hommes y répandent pour vivre moins mal (l'amour, la famille, Dieu, les conventions sociales...). Le monde, les choses qui l'entourent, sa propre existence, lui apparaissent alors pour ce qu'ils sont : des réalités contingentes, c'est-à-dire sans nécessité, sans justification, sans raison d'être, sans signification et sans but. « Je n'écris plus le livre. C'est fini, je ne peux plus écrire. Qu'est-ce que je vais faire de ma vie ? Rien. Exister. » b) Albert Camus, L’Etranger, 1942 Né en Algérie française, Albert Camus a écrit des romans, du théâtre et des essais philosophiques, c’est un intellectuel résistant et de journaliste pendant la guerre, et s'oppose après guerre à toute forme de totalitarisme. En 1957, le prix Nobel de littérature récompense l'ensemble de son œuvre. L'Etranger se déroule en Algérie française. Meursault, le narrateur, mène une vie banale d'employé. Il vit dans le présent, ne se projette pas dans l'avenir et ne songe guère au passé.
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